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LA TENTATION DE L'OUTRE NOIR

—Latifa Serghini

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in Diptyk, #44, june—Sept. 2018

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Jolie métaphore que celle de l’obsidienne pour évoquer le travail créatif de l’artiste Fatime Zahra Morjani. Cette roche volcanique stratifiée et cristalline appelle à la fois densité, transparence, opacité et variations sur le noir. Le minéral  évoque l’univers des éléments dans leur essentialité cosmique, éruptive, du Big Bang jusqu’à la fragmentation et  le chaos. Cet univers, Fatime Zahra Morjani l’a exploré à travers ses recherches plastiques caractérisées par leur éclectisme, où la photographie et l’installation ont régulièrement côtoyé la peinture. L’écologie fait partie des préoccupations de l’artiste qui n’hésite pas à en utiliser les composantes comme mediums, ou matériaux à expérimenter en fonction de ses intuitions.

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Ce que Fatime Zahra Morjani offre à notre regard aujourd’hui, est l’expression d’un monde personnel, intemporel, en quête d’une autre dimension où l’univers de la fiction n’est pas loin. La nature, l’objet, l’être, tout est là, suggéré. En réalité, l’objet  existe comme prétexte, pour en souligner l’étrangeté et  l’insolite présence. Ce n’est pas un motif. Chaque œuvre est une sorte de rêve, une évocation  de l’artiste pour vivre une  manière d’être dans la peinture.

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Pour cette exposition, l’artiste a  choisi le pris le parti-pris  du blanc et du noir, deux « non couleurs » qui lui donnent l’opportunité de  ne pas subordonner l’expressivité à la couleur, de s’exonérer  d’une  certaine esthétique esthéticienne. La palette des  noirs se décline en nuances de roche : noir profond avec la  tentation de « l’outrenoir » jusqu’aux noirs grisés pour une  dialectique avec le blanc, entre obscurité et clarté. Cette dyade lui fait explorer un autre rapport à l’espace entre tâche et trait, vide et plein. Dans ce « contraste simultané » classiquement coloré, la lumière apparait, comme une évidence.

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L’émotion que suscite la proposition artistique de Fatime Zahra Morjani, n’est pas étrangère à sa manière de traiter le noir et le blanc  en antonymes  visuels pour  réussir à  mettre en scène minéral et floral, harmonie et chaos, Eros et Thanatos, Yin et Yang, qui nourrissent toutes formes  d’hésitations existentielles dans la quête d’un équilibre. Ce n’est  pas  une œuvre expressionniste, ni gestuelle, qui consacre l’acte de peindre en soi, mais un engagement dans la réalisation d’une judicieuse mise en scène de l’acte de peindre. Sa vocation première d’architecte n’est sans doute pas étrangère à   cette démarche…

 Cette œuvre riche et originale est réalisée dans une graphie singulière, qui se distingue par la délicatesse, la nuance et l’extrême sensibilité. Cette exposition est une invitation à dialoguer avec la peinture par la mise en scène du noir et du blanc, une magie dont les vibrations invitent le « regardeur » à se laisser porter par des émotions renouvelées.

 

 

Latifa Serghini

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—EN

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En 2018, Fatime Zahra Morjani expose sa « Taxidermie du Paysage » à la Galerie Mohamed El Fassi à Rabat. Dans ce texte, Latifa Serghini revient sur ce procédé qui irrigue la pratique de l’artiste.

 

La Peau du Monde est une peau de chagrin. Environnement, espace, espèces animales ou végétales, sociétés et cultures premières ou "primitives" semblent pris dans un tourbillon qui les évacue irrésistiblement vers un autrefois qui dévore notre présent au rythme de notre inexorable colonisation du monde. A travers sa taxidermie du paysage, Fatime Zahra Morjani esquisse les contours d’un jardin devenu un lieu de métaphores et retient au vol quelques éléments de ce maelström fuyant.

 

La taxidermie est l'art de préparer les animaux morts pour les conserver avec l'apparence de la vie. Avec l’herbier, autre technique de conservation, l’Homme devient collectionneur et archiviste de son propre environnement.

 

La taxidermie préfigure donc un monde sans animaux car ils auront rejoint celui des dinosaures et des mammouths, l’animal n’est plus que pour avoir péri, comme le dirait Aragon.

 

Une œuvre faisant référence à la taxidermie renvoie doublement au musée :  en tant qu'œuvre d'art et en tant qu'objet qui trouve sa place dans les collections d'Histoire Naturelle. Il est les deux, mais à travers un voile d'ambiguïté où la Mort reste la condition de réalisation première de la création de l'œuvre.

 

Depuis la renaissance, la flore est devenue à la fois objet de production et de consommation domestiqué et standardisé, du fait des différentes révolutions vertes. A travers le prisme de l’art, elle participe aujourd’hui à remettre en cause les logiques d’un pouvoir consumériste. « Le traitement que la société réserve aux plantes est une image-miroir d’elle-même » affirme l’artiste autrichienne Lois Weinberger.

 

Par sa façon de disposer du « corps » des plantes, Fatime Zahra Morjani questionne le devenir de cette flore soumise aux intrusions de l’Homme dans sa volonté de soumettre son environnement. L’artiste est convaincue comme Paul Klee que « Le dialogue avec la nature reste pour l’artiste une condition sine qua non ; l’artiste est homme ; il est lui-même nature, morceau de nature dans l’aire de la nature ». Que reste-t-il du modèle (plante, animal, être vivant) après avoir été happé par l'œuvre, remodelé, recréé ? Quelle représentation du végétal perdure quand il n’existe plus ?

 

Latifa Serghini, 2018

In 2018, Fatime Zahra Morjani exhibited "Taxidermie du Paysage" (Landscape Taxidermy) at the Mohamed El Fassi Gallery in Rabat. In this text, Latifa Serghini explores the process that permeates the artist's practice. 

 

 

 

The Skin of the World is a skin of sorrow. Environment, space, animal or plant species, societies and cultures, whether primary or "primitive", are caught in a whirlwind that irresistibly leads them to a past that devours our present at the rate of our inexorable colonization of the world. Through her taxidermy of the landscape, Fatime Zahra Morjani draws the contours of a garden, a place of metaphors, and retains some elements of this elusive maelstrom.

 

Taxidermy is the art of preserving dead animals in a life-like state. In addition to the use of the herbarium, another conservation technique, Man becomes both the collector and the archivist of his own environment.

 

Taxidermy thus prefigures a world without animals for they join that of the dinosaurs and mammoths. To use a quip of Aragon, the animal is only for having perished.

 

An artwork referring to taxidermy is a double reference to the museum, first as a work of art and as an object that belongs to Natural History collections. It combines both, through a veil of ambiguity where Death remains the primary condition into which the work comes into being.

 

Since the renaissance and due to a variety of green revolutions, flora has become both an object of production and a standardized commodity. In the art world context, it is used to question the logic of a consumerist power. "Society's approach to plants is also a mirror image of itself", states Austrian artist Lois Weinberger.

 

Through her way of disposing of the "body" of plants, Fatime Zahra Morjani explores the future of a flora subjected to the intrusions of Man in his will to dominate his environment. The artist is convinced, like Paul Klee, that "Dialogue with nature remains a conditio sine qua non. The artist is a man, himself nature and a part of nature in natural space." What remains of the model plant/animal/living being after being reshaped, recreated, caught up in the artistic practice? What representation of the plant remains when it no longer exists?

 

 

Latifa Serghini, 2018

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